Une partie extraite de mon livre " SOS Éveil ".
Certains pensent que le voile islamique est obligatoirement synonyme de soumission féminine. Ils croient que pour le revêtir, il faut forcément faire preuve d'ignorance ou subir une oppression. J'apporte un peu de nuance pour ne pas attiser les braises d'un feu déjà explosif. J'invite les réflexions limitantes, hautement typiques et par conséquent dangereuses et incomplètes, à étendre leur champ d'observation. En leur précisant que pour accepter d'autres réalités, il faut pouvoir se prémunir d'humilité.
Il m’apparaît indispensable de nous réapproprier l’entité même de la laïcité. S’agit-il d’une appartenance à une religion ou à celle d’une nation ?
Retour aux protagonistes de cette loi différenciant Église et État. Aristide Briand, rapporteur modéré, présent à l’Assemblée nationale dans les années 1900, mit en exergue cette résolution séparatiste et fédératrice. Orateur de qualité, il a dû faire face au contre-projet défendu par un député anticlérical, lui-même doté de convaincantes palabres. Ce dernier avait pour objectif de briser et de détruire le catholicisme dans son ensemble, aussi bien dans les croyances que dans les dogmes cléricaux. Subitement, Jason, alias Jean Jaurès, intervint auprès des Argonautes. Figure emblématique de la gauche d’alors, numéro un du parti de la « Section Française de l’Internationale ouvrière », il permet de faire pencher la balance en faveur de la mise en place du projet d’Aristide. En ce début du XIXème siècle, la loi séparant les pouvoirs entre les organes étatiques et ecclésiastiques fut adoptée par le parlement gallo-romain. Pour la première fois, ces institutions se sont démarquées en se reliant. Une prise en compte nécessaire humainement parlant puisqu’elle forge notre histoire commune. Les distinctions, les rapprochements religieux et nationaux furent propulsés sur le devant de la scène de manière légale.
Un parallèle s’impose. Déjà, à l’époque, la question de l’habit ecclésiastique fut abordée. Pour quelques hommes se disant laïques et philosophes sans tabous, quel amusement ! L’habillement spécifique aux protagonistes des différentes religions signifiait qu’ils se placent au-dessus des masses populaires, pour mieux répandre la foi aux cœurs des citoyens. Lorsqu’au début des années 2000, des lois contre le port du voile dans les lieux publics ont été promulguées, j’ai immédiatement songé à l’indigence de cette mesure et aux troubles qu’elle créerait, au grand dam des doigts de l’Ordre Jedi face aux Sith Malin. La manière de mettre en opposition habits islamiques et lieux publics, peut-être était-ce nécessaire pour poser des questions spirituelles en s’interrogeant sur la place du culte musulman en France, pour mieux l’appréhender ? Hélas, cette loi et son application ont simplement pour vertu de rassurer le citoyen, notamment sur la peur que provoque la religion musulmane et sur le conditionnement ou la réduction du droit des femmes en son sein. Encore une fois, émettre une telle prescription punitive implique de négliger notre histoire, d’alimenter des peurs, des perceptions tronquées, des amalgames.
En effet, lorsqu’en France nous évoquons l’islam en stigmatisant ses tenues vestimentaires, ses rites et coutumes que nous considérons comme étrangers à notre société, nous stimulons par la même occasion le mépris, la haine, le repli communautaire qui impulsent des extrémismes politiques et théologiques de tout horizon. Ainsi, on impose indirectement à l’esprit des gens qu’une femme portant un voile signifie qu’elle est maltraitée à cause de sa foi. Ou bien, qu’un imam (guide musulman) peut devenir un djihadiste convaincu. Et, encore plus déroutant, que ces signes confessionnels ne peuvent prendre place dans l’espace public, comme si cela constituait une atteinte à la loi d’Aristide Briand. La laïcité, au contraire, consiste à différencier l’appartenance religieuse et le respect des règles de l’État. Distinction que cette interdiction ne permet pas de réaliser, puisque cela crée une association de stigmatisation, de torpeur, de mélanges entre fondamentalistes et simples croyants, entre femmes voilées et femmes maltraitées. On ne peut apaiser ou émettre un début d’ouverture d’esprit en acceptant la mise en application de cette loi.
La mise en application de la loi de 2004 symbolise l'avènement d'un État faible, succombant à une régression intellectuelle et spirituelle, s'offusquant du moindre signe religieux, marquée par l'omniprésence de la peur de son prochain, de l'individualisme et du repli sur soi. L'école n'échappe pas, selon moi, à cette ambiance délétère. Il ne s'agit pourtant pas d'un sanctuaire déconnecté de la réalité du quotidien. Ceux prônant l'uniforme ou la tenue unique obligatoire s'éloignent et détournent la fonction même de la laïcité. Puisque cette pratique n'empêchera pas les inégalités sociales et les différences de croyances intimes. Je crois, au contraire, que l'école s'apparente à un sanctuaire où l'on apprend tolérance et acceptation des différences. À partir du moment où les règles du vivre-ensemble et les principes civiques sont respectés, chacun devrait pouvoir vivre pleinement ses croyances, sa foi par la pensée, par le verbe et arborer fièrement sa tenue vestimentaire. Si vous vous offusquez visuellement qu'une personne porte un signe religieux qui vous dérange alors vous êtes dans l'incapacité d'accepter sa croyance intime. Il s’agit d’une réaction idiote, contre-productive et déconnectée d'une réalité que l'on voudrait idéalisée, à défaut de la nuancer et d'en accepter toute sa diversité.
Vous l’aurez compris, désigner systématiquement les différents types de voiles musulmans comme signes ostentatoires religieux apparaît assez inconséquent et manque de précision. Car on ne peut pas faire de leur port une généralité laïque. Le hijab et le tchador permettent d’apercevoir le visage de la femme, de l’identifier dans l’espace public. Je ne vois par conséquent aucune contre-indication qui pousserait à les interdire. En revanche, le niqab et la burka n’offrent pas la possibilité de le distinguer. Dans ce cas, on peut considérer qu’il s’agit de signes ostentatoires religieux, et que les porter est sanctionnable. Et si l’on pense que le port d’un hijab ou d’un tchador ne respecte pas les valeurs de la personne en question et sa liberté, on commente une situation qui nous est étrangère. Puisque certaines âmes féminines l’endossent par volonté, par choix intime. Et pour celles qui subissent ce traitement vestimentaire, qui vivent asservies, enchaînées, tyrannisées par une interprétation oppressive et despotique de l’islam de la part d’un chef de famille, la justice se doit d’intervenir. Ce n’est pas la croyance qu’il faut pointer du doigt, mais son instrumentalisation. En cas de violences physiques ou mentales à l’encontre d’une femme voilée, ne pas désigner la religion fautive, mais plutôt l’homme qui s’en sert à des fins négligentes, traumatisantes. De la même façon, les fondamentalistes djihadistes causant des assassinats collectifs utilisent leur théorie pour embrigader des vertébrés humains fragiles, désespérés, parfois broyés par un système, déboussolés.
Ainsi, par principe laïque et pour des raisons sécuritaires d'identification, en cas de préjudice perpétré ou subi, le voile intégral, ne permettant pas de voir le visage, devrait être interdit en France. De plus, chaque femme le portant devrait faire l'objet d'enquêtes judiciaires pour déterminer si elles sont victimes d'oppression ou de maltraitance. En effet, si votre visage reste identifiable et que vous respectez les règles laïques garantissant respect de la croyance intime et des règles du pays où vous vivez, sans imposer à autrui votre pensée, vos mœurs et coutumes et faire preuve de prosélytisme, vous devriez pouvoir vous habiller et déambuler comme bon vous semble dans l'espace public.
Le combat s’inscrit contre les terroristes et les maltraitances perpétrées par une minorité au nom d’un Coran interprété comme ça les arrange. Une loi donc sans âme, sans considération pour autrui, rassurant juste nos égos. Chacun possède son cheminement, et celui-ci peut s’illustrer de manière passagère ou plus longue par un signe de croyance sur la fibre caressant sa peau. Alors, laissons le textile à sa place, qu’il soit marqué de philosophie, de provocation, de paganisme, de christianisme, d’islam, d’hindouisme, de bouddhisme ou de cynisme, du moment qu’il ne masque pas notre visage.
Un argument grossier aussi est parfois mis en avant. Celui soupirant que l’on doit s’adapter aux normes du pays en question. Entendu, mais de quelles règles parlons-nous concernant notre tenue vestimentaire ? Si des animistes vivent en France, vous leur interdirez de porter leurs tatouages symbolisant leurs croyances ? Si vous allez en Afrique occidentale, vous accepterez que l’on vous peigne en noir parce que la peau blanche s’avère stigmatisante ? Lorsque vous vous rendez au Liban, vous serez obligés d’enlever votre croix chrétienne pour atteinte aux lieux publics puisque la population se révèle à majorité musulmane ? Un prêtre en France n’aura donc plus le droit de marcher dans la rue, vêtu d’un col romain, car en Israël certains sionistes, extrémistes juifs, vêtus avec le même col, ont mis le feu à une ville toute entière ? Chaque pays détient des règles qu’il nous faut respecter, certes, mais éprouver une croyance en quelque chose et la montrer en restant identifiable, qu’on l’aime, qu’on la comprenne ou non, reste de l’ordre de l’intime, et cela, on ne doit surtout pas y toucher.
Dans les pays islamistes et dictatoriaux, les femmes sont contraintes de recouvrir leur corps et de porter le voile intégral. Or, dans les pays laïques et démocratisés, la majorité des femmes musulmanes portent le voile à visage découvert et le font par choix. Ce n'est pas parce qu'une tenue vestimentaire symbolise un islam radical dans certains pays dictatoriaux qu'elle dispose de la même signification, dans des contrées laïques et démocratisées.
J’affectionne certains hommes d’État, mais aussi certaines âmes d’Église. Comme ces prêtres ou curés enseignant un savoir, s’interrogeant, s’insurgeant, défendant des valeurs, à l’instar des missions jésuites en Amérique du Sud au XVIe siècle, protégeant les peuples amérindiens, au péril de leur vie. Par ailleurs, la laïcité n’est pas qu’une affaire politique. Des penseurs religieux l’ont intégrée dans leur existence quotidienne.